Je me souviens de Pierre Hennequin comme on se souvient d’un cliché en noir et blanc : précis, instinctif, habité. Il a ce regard rare, celui qui capte la vibration d’un accord, la tension d’un silence juste avant que la musique n’envahisse l’espace, la lumière exacte qui éclaire un instant de vérité.
Il m’a toujours fait penser à Jean-Pierre Leloir, ce funambule discret posté au balcon de L’Olympia à Paris, qui savait figer l’éphémère. Comme lui, Pierre ne prend pas une image : il la guette, il l’écoute, il l’attend. Il n’est jamais dans la démonstration, toujours dans la justesse. Il sait quand ne pas déclencher. Et surtout, il sait quand tout est là.
Mais ce qui frappe chez lui ne se limite pas à l’œil. Pierre vit la musique dans toutes ses dimensions : il connaît ses sons, ses scènes et ses coulisses. Il peut penser un projet visuel, organiser une production, structurer une tournée, écrire une narration, accompagner un artiste… sans jamais perdre de vue l’essentiel. Il est un artisan de terrain, rigoureux, engagé, au service de la musique, dans ce qu’elle a de plus vivant, de plus nu, de plus vrai.
Le diable se cache dans les détails. Et c’est là qu’il excelle.
Il travaille avec une précision chirurgicale, mais sans froideur. Son exigence n’est jamais sèche : elle est au contraire portée par une sensibilité rare, par une profonde humanité. Il a cette capacité d’être partout sans jamais s’imposer. D’apporter des solutions, des idées, une vision ; toujours au bon moment. Il n’est pas multiple par dispersion, mais par nature. Il passe d’un rôle à l’autre sans forcer, comme on change de tempo. Toujours dans le rythme, toujours au bon endroit.
Sa culture musicale est immense. Elle ne se limite pas à un genre, ni à une époque. Elle est organique, enracinée, vivante. Il peut parler de la scène d’aujourd’hui comme des grands producteurs des années soixante-dix, du rôle d’un label, de l’empreinte d’un mix ou des subtilités d’un mastering, Il parle musique comme d’autres parlent leur langue maternelle : sans chercher à briller, mais avec une justesse naturelle.
Et puis, il y a “A Love Supreme”.
Pierre ne cite pas ce disque. Il le porte. Il y revient comme on revient à une source, une ligne d’horizon, un engagement. Il parle de Coltrane non comme d’une influence, mais comme d’une manière d’habiter le monde. Cette quête intérieure, cette verticalité, cette foi dans ce que l’art peut contenir de sacré, c’est peut-être ce qu’il cherche, lui aussi, dans chaque image. Pas un instant figé, mais une trace vivante de quelque chose de plus grand que soi.
Il photographie la scène comme d’autres écrivent des prières. Sans emphase. Avec foi.
Pierre Hennequin est un passeur. Un témoin sensible. Un artisan qui fait lien entre les artistes, les lieux, les équipes, le public. Il a l’élégance de ceux qui ne cherchent pas à être vus, mais dont la présence change tout.
Et dans chacun de ses clichés, dans chacun des projets qu’il accompagne, il y a toujours ce mélange si rare : la rigueur d’un maître d’atelier et le feu sacré de l’amoureux.
Gérard Drouot
Septembre 2021